Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/483

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n’est pas exactement celui que l’auteur signale. Ce qui choque ici, c’est une nuance que des yeux vifs et un esprit moqueur ne sont pas toujours capables de saisir. Une douleur sincère, fut-elle la douleur « d’une grosse dame qui se lamente», a toujours quelque chose qui peut sembler à la plupart d’entre nous respectable et touchant.

Ce petit passage, sans lequel on pourrait croire que le goût de Jane Austen n’est jamais en défaut, renferme une autre indication, plus utile et d’une plus grande importance. La correspondance, nous l’avons vu, ne nous apprend presque rien sur les sources de l’humour dans la « comédie moyenne » de Jane Austen. À peine avons-nous trouvé, dans cette lettre où elle parle de se laisser aller à rire d’elle-même et des autres, un mot qui nous éclaire sur les origines psychologiques de son attitude devant la réalité. Les quelques lignes déjà citées de « Persuasion » sont autrement révélatrices, et leur révélation d’autant plus significative qu’elle est plus involontaire. La « raison », le « goût », voilà, de son propre aveu, les deux sources dont jaillit l’humour de Jane Austen. Encore pourrait-on réduire celles-ci à une seule, car le goût est le produit d’une culture rationnelle, d’une adaptation réfléchie à certains principes en lesquels se résume comme une logique de l’esthétique.

Si le désaccord de tel ou tel spectacle avec les lois de la raison ou les principes du goût, noté par un observateur éminemment raisonnable, est à la base de cette forme de l’ironie que nous appelons « humour », celui-ci aura l’amusement pour résultat. Saisissant très rapidement et très vivement la nature et la portée de ce désaccord, l’auteur estimera superflu de nous demander une semblable constatation. Croyant lui-même à la prépondérance de l’ordre et de la raison dans le monde, il considérera comme exceptionnel tout ce qui échappera de quelque manière que ce soit à la logique générale. Il ne fera donc pas au lecteur l’injure de lui demander de prononcer sur telle ou telle scène humoristique le jugement que l’absurde provoque toujours