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TEXTE DE LA NOUVELLE HÉLOISE

première, tirée à quatre mille exemplaires et peut-être plus, alors qu’aucun roman, de 1760 à la Révolution, ne semble avoir dépassé trois ou quatre éditions avouées[1]. Son action sur les âmes françaises fut prodigieuse[2]. Au cours du dix-neuvième siècle, elle fut incessamment rééditée et relue. Ce roman, Rousseau l’a revu, corrigé avec un soin tendre et une obstination durable. Des éditeurs sont venus qui ont fait quelque effort pour l’imprimer correctement et qui en connaissaient les manuscrits. Pourtant il nous faut encore le lire dans des éditions qui sont ou médiocres ou très mauvaises. Certes le sens du livre n’en souffre pas essentiellement et les âmes ardentes de Julie et de Saint-Preux n’en sont pas défigurées. Mais ce sont tout au moins le philologue qui étudie la langue de Rousseau, le lettré pieux désireux de le connaître exactement qui n’ont entre leurs mains que des ressources incertaines. C’est enfin tout lecteur cultivé qui garde la crainte instinctive d’être infidèle à Rousseau et de n’avoir d’une œuvre d’art qu’une copie altérée parfois, ou retouchée au hasard.

L’étude des manuscrits de Rousseau suffirait amplement à nous convaincre du soin minutieux qu’il met à se corriger. Mais son obstination patiente, non pas immédiate et continue comme celle de Flaubert, échelonnée au contraire parfois sur onze ou douze années, révèle des scrupules de styliste presque maladifs. Les

  1. Paul et Virginie n’est qu’une « pastorale. »
  2. Cf. notre ouvrage : Le sentiment de la nature en France de J.-J. Rousseau à Bernardin de Saint-Pierre, Paris, Hachette, 1907, et notre article de la Revue du Mois (1909, 10 mai) : Les admirateurs inconnus de la Nouvelle Héloïse.