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LE RÂMÂYANA.

guerre de Troie nous apprend à distinguer ce qui couvre de honte, ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter^^1.

Mais il y a entre le Râmâyaṇa et l’Iliade des ressemblances spéciales et parmi elles la plus évidente est celle qui présente dans l’enlèvement d’une femme le motif de la guerre que se font deux races foncièrement distinctes, bien qu’elles professent, comme le montre le poème, la même religion et j’ajoute la même morale^^2, et cette analogie, jointe à plusieurs autres de détail, a suffi, paraît-il, pour faire croire aux Grecs, sur de vagues rapports, que les Indiens chantaient les vers d’Homère dans la langue de leur pays : ὁτι Ἰνδοὶ τῇ παρὰ σφίσιν ἐπι χωρίῳ φωνῇ τὰ Ὁμήρου μεταγράψαντες ᾀδουσιν οὐ μόνοι^^3. Mais Elien ajoute prudemment : Si toutefois on peut en croire ceux qui l’ont écrit : ὑπὲρ τούτων ἱστοροῦσι, réserve qui vise entre autres l’orateur Dion Chrysostome^^4. Je sais bien que des critiques, parmi lesquels on est un peu étonné de trouver un savant de la valeur d’Alb. Weber, se plaisent dans l’idée de voir dans le Râmâyana une sorte d’imitation de l’Iliade^^5 ; mais outre que l’Iliade n’est qu’un fragment du cycle de la légende qu’elle chante tandis que le Râmâyana donne la sienne au grand complet, il n’y a qu’à comparer la fable de Sîtâ et celle d’Hélène pour se convaincre de la parfaite indépendance de nos deux poèmes. La femme est partout, a dit un juge au criminel ; néanmoins il n’y a pas moyen de ranger la chaste et héroïque Sîtâ au nombre de celles

1 Qui, quid sit pulchrum, quid turpe, quid utile, quid non… dicit. (Horat., Epist., I, 2, 3).

2 Seulement Râvana le chef des démons, quand il veut faire le bon apôtre et tromper les brâhmanes prend la précaution de parler leur langue, c’est-à-dire le sanscrit (V. Râm., V, 29, 17). Mais du reste il est au mieux avec Brahmâ, car il a conquis toutes les félicités dont il jouit par l’ampleur de ses macérations, (Ib., V, 47, 27).

3 Aelianus, Variae Historiae, XII, 48. — Les Indiens n’ont chanté les vers d’Homère que de nos jours, et encore comme essai seulement en traduisant ainsi qu’il suit les premiers vers de l’Iliade : पलीयस​ : सुत​ : श्रीमां अखिलोस​ : समाहित​ : । किमर्यम् शापूवं पूर्वम् अवायं मानवां ऊषि : ॥ सर्वे भवन्त​ : संग्रामे मृतिम् प्राप्स्यय दुर्णय​ : । एतानि युष्मद् गात्राणि गामायु श्वान पकिषणाम् ॥ भवन्तु भकष्या णायसवो विशलु च रसातलम् । इत्येवम् एतद् मे सर्वम् बूहि देवि विशेषत​ : ॥ Litt. : « Pourquoi le fils de Paliya, le divin Akhillis se vouant avec zèle aux pieuses contemplations, a-t-il naguère maudit les Akhâyâs, lui le magnanime rishi, en disant : « Vous tous, méchants, vous trouverez la mort dans le combat (et) vos membres serviront de nourriture aux chacals, aux chiens (et) aux oiseaux, et vos âmes descendront dans l’enfer » Tout cela, tel qu’il est arrivé, dis-le moi exactement, ô déesse ». (v. Brown, The Prosody of the Tel. and Sansc. languages, p. 44 ; 1827). — On voit ce que devient un texte d’Homère sous la plume d’un pandit. Achille converti en pieux solitaire !

4 On lit dans le 53e discours qui roule sur Homère de cet orateur : Ὁπότε ϰαῖ παρ Ἰνδοῖς φασιν ἄδεσθαι τὴν Ὁμήρου ποίησιν μεταβαλόντων αὐτὴν εἱς τὴν σφετέραν διάλεϰτον τε ϰαὶ φωνήν, ϰ. τ. λ. (Dionis. Chrysost. Opera, P. II, p. 636, éd. Ad. Emperius, 1844).

5 V. Weber, Ueber das Râmâyana, dans Abh. der Akademie zu Berlin, 1870, p. 11 sqq., 58.