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LE PESSIMISME BRAHMANIQUE

qu’on pourrait dire qu’elle n’existe pas ou que tout est vide. Or si elle n’existait pas, la conception des âmes individuelles (qui est considérée comme un axiome) manquerait de base ; et l’on ne peut dire que tout est vide, puisque cette idée implique l’absence de tout témoin, et, par conséquent, qu’affirmer que tout est vide est contradictoire en soi.

L’intelligence est la connaissance ou la faculté de connaître. C’est un attribut constant de l’àme suprême, et la preuve en résulte des passages des livres sacrés où il est dit qu’elle est la lumière des lumières et que son éclat illumine l’univers.

L’attribut de bonheur repose également sur des affirmations des textes sacrés et sur l’amour de la vie qu’éprouvent naturellement tous Les hommes. Or la vie, la vie intellectuelle et morale surtout, sur laquelle est fondé ce sentiment et tous les autres, est identique à l’âme, laquelle est tout à la f lis individuelle et universelle, selon le point de vue auquel on se place. L’âme désirant la vie, l’être est donc heureux. Mais comment expliquer alors l’attachement qu’elle a pour les objets des sens, — l’idée de bonheur suprême excluant celle de désir ? Les théologiens de l’Inde se tirent de cette difficulté en attribuant l’attachement que l’âme, en tant qu’individuelle seulement, éprouve pour les objets des sens, à l’illusion même qui fait qu’elle se considère comme distincte de l’âme universelle. L’exposé de cette théorie qui forme le fond de la doctrine védântique nous mènerait trop loin ; mais, pour revenir à notre objet particulier, on peut dire que de quelque façon que les vedântins comprissent l’exercice de l’être, de l’intelligence et du bonheur au sein de l’âme suprême, l’existence même de ces attributs est un point de doctrine sur lequel ils n’ont jamais varié. On peut accuser le système d’être rempli de difficultés insolubles et de contradictions ; mais il ne saurait encourir le reproche de nihilisme qu’on a adressé aux théories correspondantes des bouddhistes.

Maintenant il est évident qu’appliquées à la lettre, les doctrines védântiques, auraient, en raison du pessimisme dont elles sont empreintes, les résultats sociaux les plus dangereux et les plus déplorables. Les moyens d’arriver à la délivrance diffèrent peu du suicide ; en tous cas ils sont incompatibles avec l’existence et la prospérité d’une organisation sociale quelconque. La première condition pour faire un bon citoyen et un bon père de famille, c’est d’aimer la vie