Page:Annales du Musée Guimet, tome 13.djvu/33

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
23
LE RÂMÂYAṆA.

tandis que Râma prit possession des siennes par droit de grâce^^1. Quoiqu'il en soit, ce qui dans tous les cas est prouvé sans réplique par les deux chapitres que nous venons de citer, c'est que le Râmayana ne se nourrit ni ne vit de choses symboliques mais de réalités. Si la magie même, sitôt qu'elle entre en scène, réclame son droit à l'existence comme si elle était une réalité positive, à plus forte raison les autres faits extraordinaires se refuseront à être pris pour des abstractions. La magie est d'ailleurs une des chevilles-ouvrières de tout le poème, bien que les bhâgavatas râmânujas, ces disciples extrêmement nombreux du Viçishtadvaita, (un idéalisme mitigé du Védanta) qui rendent à Râma un culte d'adoration, repoussent la magie et sa source, la Màyâ. Mais n'importe, dans notre poème la magie est considérée comme une réalité.

Cependant de quoi relève la magie du Râmâyana ? À quelle religion ou à quelle philosophie religieuse se rattache-t-elle ? Est-ce à la religion brahmanique du Véda, ou à la philosophie plus ou moins brahmanique ou orthodoxe des Upanishads ? Quand on envisage la question en général, on voit que toutes les religions sans exception connaissent la magie et la pratiquent, d'où il résulte ce me semble, que la magie relève en principe, je le répète, du vieux fonds religieux commun à toute l'humanité, et pour l'Inde spécialement, du buddhisme drâvidique primitif, la religion des démons, aux yeux des brahmanes. Aussi les maîtres magiciens dans notre poème sont les démons surtout. On le verra par l'analyse de l'épopée. Pour le moment il suffît de constater que le mantra magique, Zauberspruch, dans le Râmâyana est à la souveraine disposition de l'ascète parfait, qu'il s'appelle Viçvamitra ou Ravâna. Mais comment l'ascète obtient-il la perfection qui livre à sa discrétion cette formule du pouvoir souverain sur la nature et partant contre la nature ? Le mantra magique célébré déjà dans le Rig-Véda^^2, joue un si grand rôle dans notre poème, qu'il vaut la peine de nous informer de la source qui le produit.

Le mantra magique relève en principe de la perfection morale, d'une certaine perfection morale, de celle qui est le résultat du sacrifice, symbole de l'ordre religieux. La perfection idéale n'y compte donc pour rien, sans cela en effet ce serait Râma, qui est un puits de vertu, dont la parole aurait le pouvoir d'évoquer

1 Il en est de même de celles que plus tard il reçoit du muni Agastya.

2 V. R.V., X, 71.