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iv. — l’auteur et l’œuvre

En scrit mist de sa man l’istorie croniquee :
N’estoit bien entendue fors qe da gient letree.
Une noit en dormant me vint en avisee
L’arcevesque meïme, cum la carte aprestee :
Comanda moi et dist, avant sa desevree,
Que por l’amor saint Jaqes fus l’estorie rimee,
Car ma arme en seroit sempres secorue et aidee[1].

Cette « histoire chroniquée », il l’a vue autrement qu’en songe, comme bien on pense, dans une bibliothèque de Milan :

En croniqe letree, qe escrist da sa man
L’arcivesque Trepins, atrovai en Millan
L’estorie e la conquise dou regne Castellan
Qe fist le neveu Carles por coroner Audan,
La seror Oliver, q’il plevi soz Vian[2].


Mais il y a bien d’autres choses dans l’Entrée d’Espagne que la substance de la Chronique de Turpin. Que d’aventures dont le bon archevêque ne peut mais ! Le Padouan le sait bien, et il sait aussi que « la gient letree », qui a lu Turpin dans le texte original, ne manquera pas de lui chercher noise. Sa défense est toute prête, et il la produit au milieu du duel de Roland et de Ferragu, à un moment où il tient cependant son imagination en bride et où il n’a que des péchés véniels à se reprocher vis-à-vis de Turpin, dont il ne s’écarte pas trop. Les lettrés connaissent Turpin, mais ils ne connaissent pas tout. Deux autres clercs, dont personne n’a entendu parler, savent tout ce qui s’est passé depuis le moment où Charlemagne a franchi les Pyrénées jusqu’à celui où la trahison de Ganelon prépare la tragédie

  1. Entrée d’Espagne, 46-54.
  2. Ibid., 10978-82.