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introduction

de Roncevaux : ce sont Jean de Navarre et Gautier d’Aragon, ce dernier surtout, qui en dit « plus de nus autre on »[1]. Il y a aussi les jongleurs qui « cantent d’Espaigne » à leur fantaisie. Le Padouan les méprise, « les foibles jogleor »[2] ; il les hait violemment, il voudrait les voir « snarer come parjureor ». Ils ne se doutent pas de l’existence de Jean de Navarre et de Gautier d’Aragon, ces pauvres jongleurs ! Et notre poète reprend son récit

Si com nos monstre Trepin nostre doctor[3].

Pour qui sait ce que parler veut dire, il est inutile d’insister. Nous voilà fixés sur la mentalité du Padouan : Jean et Gautier sont de pures chimères[4], et Turpin a bon dos. Quand notre poète aura définitivement assuré sa marche, quand il se sentira maître de ses auditeurs, il se décidera enfin à lever le masque, à affirmer sa propre autorité, à proclamer sa patrie, sinon son nom, après avoir annoncé sommairement les merveilles que Roland va accomplir en Orient de par la volonté de celui qui le chante :

  1. Entrée d’Espagne, 2779-2793 ; cf. 2930.
  2. Ibid., 2812.
  3. Ibid., 2825.
  4. La curieuse découverte, faite par M. P. Meyer, de 160 vers appartenant à une chanson de geste perdue dont l’affabulation se rapproche beaucoup de la chronique de Turpin (Romania, XXXVI, 22 et ss.) ne me paraît pas de nature à modifier la manière de voir que j’ai depuis longtemps à ce sujet et qui se rattache à celle de Gaston Paris. Il est hors de doute que, comme l’a dit G. Paris, le Patavian « donne ici l’exemple, si souvent suivi par ses compatriotes, d’alléguer de fausses autorités en preuve d’aventures de pure invention » (Hist. poét. de Charlemagne, p. 175). La chanson perdue n’était qu’une combinaison des données de Turpin et de celles de monuments connus de l’épopée française. À ce compte, l’œuvre du trouvère français peut être rapprochée de celle qu’a exécutée le Patavian, mais c’est tout.