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de Robinson Crusoé.

ou douze épis qui avoient poussé, & qui étoient d’un orge vert, parfaitement bon, & de la même espèce que celui d’Europe, & qui plus est, aussi beau qu’il en croisse en Angleterre.

Il est impossible d’exprimer quel fut mon étonnement, & la diversité des pensées qui me vinrent dans l’esprit à cette occasion. Jusqu’ici la religion n’avoit pas eu plus de part dans ma conduite, que de place dans mon cœur ; je n’avois regardé tout ce qui m’étoit arrivé que comme un effet du hasard ; c’est tout au plus s’il m’échappoit quelquefois de dire à la légère, comme font naturellement bien des gens, que dieu étoit le maître, sans songer aux fins que se propose sa providence, ou à l’ordre qu’elle observe à régler en ce bas monde les événemens. Mais après que j’eus vu croître de l’orge dans un climat que je savois n’être nullement propre pour le bled, dans le tems sur-tout que j’ignorois la cause de cette production, je fus saisi d’étonnement, & je me mis dans l’esprit que dieu avoit fait croître ce bled miraculeusement, sans le concours d’aucune semence, & qu’il avoit opéré ce prodige uniquement pour me faire subsister dans ce misérable désert.

Cette idée toucha mon cœur, jusqu’à faire couler les larmes de mes yeux ; je me félicitois d’être si heureux, que la nature voulût bien faire