moyen de me nuire ; je me plaisois fort dans cette idée avantageuse de mon savoir-faire, & rien ne me manquoit, selon moi, que l’occasion de l’employer.
Elle parut à la fin se présenter un matin que je vis sur le rivage jusqu’à six canots, dont les sauvages étoient déjà à terre, & hors de la portée de ma vue. Je savois qu’ils venoient d’ordinaire du moins cinq ou six dans chaque barque, & par conséquent leur nombre rompoit toutes mes mesures. Quelle possibilité pour un seul homme d’en venir aux mains avec une trentaine ? Cependant après avoir été irrésolu pendant quelques momens, je préparai tout pour le combat ; j’écoutai avec attention si j’entendois quelque bruit ; ensuite laissant mes deux fusils au pié de mon échelle, je me plaçai d’une telle manière, que ma tête n’en passoit pas le sommet. De-là j’apperçus, par le moyen de mes lunettes, qu’ils étoient trente tout au moins, qu’ils avoient allumé du feu pour préparer leur festin, & qu’ils dansoient à l’entour avec mille postures & mille gesticulations bisarres, selon la coutume du pays.
Un moment après, je les vis qui tiroient d’une barque deux misérables, pour les mettre en pièces. Un des deux tomba bientôt à terre, assommé, à ce que je crois, d’un coup de massue, ou d’un sabre de bois ; & sans délai, deux