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Les aventures

une force irrésistible ; & quoique souvent la raison & le jugement criassent tou haut, qu’il falloit m’en retourner chez moi, je ne pouvois pourtant m’y résoudre. Je ne sais quel nom donner à ceci, & je ne prétends pas affirmer que c’est un décret inviolable qui nous pousse à être les instrumens de notre propre malheur, & à nous lancer dans le précipice qui est à nos pieds, & devant nos yeux : mais véritablement il falloit que je fusse en quelque sorte destiné à une misère certaine & inévitable, pour prendre un parti si directement contraire à de solides raisonnemens & à ma propre conviction, & dont le danger extrême que j’avois couru dès le commencement, en deux tempêtes consécutives, & qui étoit une leçon pathétique, auroit dû me détourner.

Mon camarade, qui avoit contribué à mon endurcissement, & qui étoit le fils du mâitre, étoit maintenant bien plus découragé que moi. La première fois qu’il me parla à Yarmouth, (ce qui n’arriva que le second ou le troisième jour, parce que nous étions partagés en différens quartiers de la ville), je m’apperçus qu’il avoit changé de ton : il me demanda d’un air fort mélancolique & en secouant la tête, comment je me portois ; & dit à son père qui j’étois, & que je m’étois mis de ce voyage pour un essai, dans le dessein d’en faire d’autres. Le père se tournant de mon côté d’un