Page:Anonyme ou Collectif - Voyages imaginaires, songes, visions et romans cabalistiques, tome 20.djvu/19

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tillac au dieu Sérapis, & le navire fut arroſé d’une liqueur précieuſe, pour le purifier de l’impureté de nos larmes. Chacun se félicitoit d’avoir échappé à une mort qui ſembloit inévitable ; la frayeur du danger, qui nous avoit ôté juſqu’aux ſoins naturels de donner au corps ſa ſubſiſtance, s’étant diſſipée, on courut aux vivres & à la liqueur qui charme les ennuis : le préſent fit oublier les horreurs du paſſé : l’on ne goûte jamais avec tant de volupté le plaiſir, que lorſqu’il a été précédé de peines. Tout l’équipage en fit l’expérience, & il n’y eut pas juſqu’aux pilotes qui, après un repas où Bacchus préſida, ne ſe laiſſaſſent aller aux charmes d’un profond ſommeil.

Il n’y eut que moi qui ne m’abandonnai point, ni à la débauche, ni au repos : après avoir pris une légère nourriture, je fus m’aſſeoir ſur la poupe, & de-là je promenai mes yeux ſur l’eſpace immenſe de la mer, en faiſant des réflexions cruelles sur la rigueur du ſort qui me perſécutoit : j’étois plongé dans ces triſtes penſées, lorſque j’en fus tiré par Sinouis. Que vois-je ! me dit-il. Lamekis répand des larmes, & j’en ignore le ſujet ! La grandeur de ſon ame n’eſt point ſuſceptible des frayeurs de la mort ; elle eſt trop haute pour s’abaiſſer à des mouvemens ſi bas. Ô Lamekis !