Page:Anthologie contemporaine, Première série, 1887.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
10

Elle explorait aussi la maison, à la recherche des choses du passé. Un cartonnier de dentelles exhalant une mourante odeur d’iris lui causa d’inexprimables ravissements, car il y avait d’instinctives affinités entre son âme et ces tissus d’idéal. Avec de tendres précautions, elle étalait les vaporeuses toiles, les Alençon, les Argentan, les Bruxelles, les solennelles Venise, l’éventail des « pouces de roi », les frivoles jabots et les guipures d’église, les tavaïoles sacerdotales et les rochets de Malines et de Gênes, légués par un prélat missionnaire, archevêque de Persépolis. Elle jetait ses gazes sur sa tête, les roulait autour de son cou, les revêtait comme des aubes, les tordait en écharpe et marchant d’un pas plus léger, elle souriait, au fond des glaces à son reflet ébloui dans ces baptismales blancheurs.

Leur vie s’isolait insensiblement de toute extérieure agitation. Elle rayonnait sur leur visage immergé d’extase et autour d’eux, dans la société muette des ombres chères, les anges gardiens de leur humanité. Le monde avoisinant avait circonscrit le château en un lazaret de mystère et plus un visiteur ne franchissait la grille de la cour. Épouvantés par des influences dont ils ne pouvaient définir la nature, les jeunes serviteurs gagnaient les champs. Il ne resta qu’un couple avare et taciturne de gens âgés.

De graves procès arrachèrent Henri aux sérénités méditatives, jalousement encloties dans les murs du castelet. Il dut, sommé par d’impérieuses convocations, se résoudre à de longues absences. À mesure qu’approchait le jour fixé pour son départ, son attente se tourmentait d’une indéfinissable impatience et d’une angoisse faite de confus pressentiments. C’était sa première excursion dans la vie.sa première évasion de ce périmètre spirituel que lui faisait chérir, — à côté de l’affectueuse compagnie de Marcelle, — la créature dont il s’était approprié l’incomparable idéal. Il connaissait le charme véridique de la solitude natale et il avait la méfiance du dehors, de cette atmosphère inexplorée qui bloquait son domaine et s’épaississait, pour lui, bien avant l’horizon.

À l’instant de la séparation, Marcelle, en serrant les mains d’Henri, prononça, d’une voix qui luttait avec des larmes :

« Vous nous écrirez, n’est-ce pas ? »

Il tressaillit. C’était la première fois qu’elle définissait la