sionnés de M. Deschamps — c’était le père. — Cette situation double me semblait drôle, je ne négligeais rien pour augmenter leur passion ; plus elle grandissait, plus j’étais ravie.
— J’étais la maîtresse des deux, — c’est si lointain que j’ose
le dire. — Le père m’aimait avec la foi, l’ardeur, la presque
chasteté d’un homme très jeune, tandis que son fils montrait
déjà dans son amour une sorte de sénilité. Le plus âgé me
faisait des vers, où il me comparait aux anges, aux fées, aux
étoiles ; le second m’écrivait des obscénités ; l’un me plaisait
autant que l’autre.
Cependant quoique très libre, je ne l’étais pas assez encore, au gré de M. Dechamps. Il me parla de louer un petit appartement, de le meubler gentiment et de m’y recevoir. J’acceptai volontiers. J’allais trois fois par semaine, accompagnée de mon institutrice, prendre une leçon de piano. J’avais le prétexte trouvé pour des absences. Quant à miss Campbell, elle faisait ce que je voulais. Je la bourrais de gâteau de plomb, je lui donnais un livre, je la laissais en voiture, elle m’eût attendu ainsi jusqu’à la fin de ses jours.
L’appartement fut bientôt prêt, il était charmant et j’y fus
avec plaisir. Il y avait toujours un excellent goûter, auquel
je faisais grand honneur ; je me recoiffais promptement, et
je rentrais chez moi, sans que personne se doutât de mon
équipée. Ernest m’attendait toujours devant la porte de notre
maison pour me donner la main, m’aider à descendre de voiture
et m’embrasser dans l’escalier. Il voulait m’épouser. J’eus
toutes lespeines du monde à l’empêcher d’en parler à son père.
Tout cela marchait trop bien. J’ai senti la satiété. Ma tête de seize ans rêvait des amours plus compliquées et plus dramatiques. J’ai toujours aimé l’Ambigu. C’est le seul théâtre où j’aille vraiment pour entendre la pièce. Je jugeai d’ailleurs que le moment était venu de faire un peu de bruit. Ma beauté valait cela ; et un soir, sans préparation aucune, je racontai au fils que le père avait fait meubler un appartement pour m’y recevoir, et que j’y allais le lendemain.
Ce pauvre bêta d’Ernest prit cela pour une excellente plaisanterie. Papa amoureux ! papa amoureux d’une gamine ! Il se tordait de rire, je fus très offusquée.
— Tu n’as qu’à me suivre demain, lui dis-je, tu verras bien si je me vante…
— Bon ! je te verrai entrer dans une maison quelconque, aller y retrouver je ne sais qui, mais mon père ! allons donc !
— Eh bien, repris-je, viens à trois heures, rue de Douai, n° 108. monte au second étage, sonne à la porte de l’appartement, tu verras…
— C’est bien, j’y serai. Tu veux me faire une fumisterie, nous rirons bien.
Pendant que nous causions ainsi, tous les deux, dans l’an-