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m’ennuie, me fatigue, m’excite, je ne crois à rien, je n’espère rien, je ne désire rien.

Je me suis mariée, il y a cinq ans, il faut bien faire comme tout le monde. J’ai essayé d’être très honnête, ça ne m’excède même pas. N-i-ni, tout est fini. Naturellement je suis très sévère pour les femmes, et à quelqu’un qui, ce matin, s’offrait pour me présenter la baronne de K…, j’ai refusé en disant très sérieusement :

— Une femme qui a un amant ! Y pensez-vous, mon cher ?

L’ami qui me connaît depuis bien longtemps est demeuré stupéfait.

Franchement, il y a de quoi.




LE MARIAGE DE Me RIDOU


Dès qu’il eut vendu sa charge de notaire un prix considérable et placé sa fortune dans les bons coins, Me Anatole Ridou, un peu sur ses boulets pour avoir mené trop rondement le plaisir et les affaires, résolut de se ranger. Il acheta, dans un quartier tranquille, un fort bel hôtel, d’ancienne allure, qu’il fit aménager avec soin, laissant de côté le clinquant du luxe moderne pour un confort admirablement compris. Ses domestiques furent peu nombreux, mais excellents ; ses chevaux solides et vites ; ses voitures bien suspendues ; ses repas d’une savante perfection.

Il y tenait particulièrement, la digestion le rendant allègre. Au bout de fort peu de temps il fut connu dans le monde de la galanterie par ses déjeuners où il ne priait qu’une seule personne à la fois ; l’élue, toujours choisie parmi les plus jolies filles de Paris, ne manquait jamais de se rendre à son invitation, car indépendamment de l’accueil cordial du maître de la maison, du choix exquis des mets, elle trouvait sous sa serviette, lustrée comme du satin, un cadeau qui, sans être princier, n’en était pas moins très convenable et partant très couru. De maîtresse attirée il n’en voulait point ; ayant conservé dans le monde quelques belles relations, il ne manquait pas d’honnestes dames très sensibles à l’envoi de sa loge de vendredi à l’Opéra ou à sa baignoire du mardi au Français, qui le récompensaient de ses attentions par l’éclat que jetaient dans la salle leurs têtes diamantées et leur nom connu.

L’intimité dont elles l’honoraient lui suffisait aux yeux du monde pour y tenir un rang envié ; agréablement choyé par elles, très amusé d’autre part par les matinales visiteuses, il trouvait que la vie était bonne et haussait les épaules lorsque quelque pauvre hère, poète à ses débuts, peintre à son aurore, jeune homme sans argent, se lamentait d’elle, la