Page:Anthologie contemporaine, Première série, 1887.djvu/17

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tard, viens te coucher. » Mais lui, il ne s’irrite pas, ne s’étonne même pas. Ce qui est, il l’accepte. Jamais de révolte. Comme il a pour lit un canapé du salon, il entend des baisers et des rires dans la chambre voisine, et s’endort. Non seulement imbécile — mais infâme. Ne travaillant plus, il est pauvre ; l’appartement où il loge, les habits qu’il porte, le pain qu’il mange, le tabac qu’il fume, c’est l’amant qui les paie. Soit ! il ne dit pas non, il veut bien, ou il ne songe pas à cela. Abject, n’importe. Il s’affaisse de plus en plus dans l’irrémédiable inertie de l’ennui. Et il vivra ainsi — non vivant — jusqu’à l’heure où, passant, par un beau soir, sur un pont, et voyant se mirer dans l’eau bleue les réverbères et les étoiles, — pâles souvenirs des premières visions splendides du haschich, — il se laissera tomber dans le fleuve, sans désespoir, à cause de l’occasion, comme il eût continué sa route. En fouillant le noyé, on trouvera dans sa poche un peu de la pâte verte, mêlée de tabac, puante.