Page:Anthologie contemporaine, Première série, 1887.djvu/179

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Il avait plu drû le matin ; l’égouttement de l’eau, le claquement de la pluie contre le mur, le bégoulis des gouttières se dévidant dans la mare s’ajoutaient au grondement sourd des rafales. Une lampe à bec charbonnait sur une table, à bout d’huile.

Le vent qui passait sous la porte tout à coup poussait les cendres de l’âtre, soufflait sur le champignon de la lampe ; alors, pour un instant, la silhouette des frères se dessinait, et un peu de clarté permettait de voir dans le fond de la pièce une armoire, une huche, une table, une horloge à gaine, des images saintes dans des cadres de bois.

Il y avait dix minutes que l’horloge avait sonné huit heures ; les Baraque attendaient la demie pour se coucher.

Machinalement, Bast et Balt subissaient l’influence de la Toussaint, jour noir pour les campagnes, annonciateur d’un jour plus noir ; et, muets, sans raison, ils allongeaient leur veillée. Des lumières, brillant dans la nuit aux fenêtres des autres maisons, signalaient la réunion des familles autour du feu. Une rêverie vague les occupait, semailles, rendement de la terre, désir d’amasser de l’argent. L’idiot à présent ronflait, accroupi la tête aux genoux.

Le chien se mit à aboyer subitement, en tirant sur sa chaîne, et presque aussitôt un pas sonna sur le pavé de la cour. Ils entendirent des lambeaux de chanson, une voix joyeuse perdue dans la lamentation des ténèbres.

Puis on frappa.

— Ils tressaillirent. Bast pensa aux morts qui sortaient de leur fosse et eut froid aux os.

— Qui est là ! fit Balt.

La voix cria :

— Ouvrez ! C’est moi, Hein !

Balt grommela dans ses dents, se leva, ouvrit, et un homme de vingt-six ans environ, gai, pris de boisson, habillé de vêtements neufs, trop larges, entra dans la chambre.

C’était un cousin à la mode des campagnes, Hein Zacht, le garçon meunier. Il avait les yeux brillants, le geste vague, et la pluie l’avait percé.

— Fameuse nouvelle ! dit-il. Je viens de la ville ; j’ai fait toutes les chapelles du chemin. Ach ! Hein a bu, mais il a de quoi ! Hein a le sac !

Il se laissa choir sur une chaise, donna un coup de talon