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LE DOIGT DE DIEU


I


Les campagnes dorment au fond des ténèbres, des effroyables ténèbres d’une nuit de décembre, et rien ne bouge encore dans la maison du paysan, ni sa femme pesamment ronflante à ses côtés, ni les berceaux d’où s’élèvent des respirations lentes, ni le chien assoupi dans sa niche, ni les bœufs prostrés dans les torpeurs de l’étable.

Et tout à coup une voix crie dans le silence :

— Paysan, lève-toi et va à la ville.

Docile, le rustre se vêt, et ses mains ont le geste lourd des gens mal réveillés. L’ombre fait autour de lui un mur solide, et pourtant il voit ; une clarté s’épand de ses prunelles, pareille à la blancheur d’un flambeau.

— Où vas-tu ? lui demande sa femme, qui sent près d’elle la couche vide.

Et il répond :

— Là où on m’attend.

Elle s’étonne et, se dressant sur son séant, elle lui demande qui l’attend.

— Je ne sais pas, dit-il, les épaules doucement remuées.

Bourrue alors, elle le gourmande d’aigres paroles qui, en d’autres temps, cingleraient ses oreilles comme les crins d’un fouet.