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Il n’y a que deux Villes qui soient de quelque consideration ; sçavoir Jerken ou Yerghen, qui est la Capitale du Pays, fort grande & bien peuplée, & Kascar, située au pied des susdites montagnes.

§. 3. Ce fut l’an 1683., ou environ, que les Calmuques, sous leur Bosto-Cham ou Bosugto-Cham, ocuperent la Petite Boucharie. Après la mort de Bosto-Cham, Zigan-Araptan son Neveu, en devint le Grand-Contaisch. C’est le nom que le peuple donne à ses Souverains.

Je raconterai ci-dessous les particularitez de cet évenement.

§ 4. Zïgan-Araptan étant parvenu à la regence, il établit l’ordre suivant dans la Petite Boucharie. Il institua divers Magistrats subalternes, qui subsistent encore, & qui sont subordonnez les uns aux autres. Les moindres gouvernent chacun 10. Maisons ou familles, les seconds 100, les troisiemes 1000; & tous dépendent d’un Commandant Général, que le Grand Contaisch, comme Souverain du pays, choisit ordinairement d’entre la race des anciens Princes des Bouchars.

Ces Magistrats jugent des différens qui naissent entre les sujets, & sont dans l’obligation de faire rapport de tout ce qui se passe, chacun à son supérieur. Par cette forme de gouvernement le Grand Contaisch tient un fort bon ordre dans son Pays, où tous les habitans vivent en paix & dans une parfaite union.

§. 5. Les Bouchars ne sont gueres belliqueux. Les armes dont ils se servent communement, sont la Lance, le Sabre ; & l’Arc. Il y en a cependant, qui ont des Fusils, & des Arquebuses rayées; & les plus riches portent des Jacques de mailles.

§. 6. Pour juger de la force de ce Peuple, on peut compter que, quand le Grand Contaisch a besoin de lever des troupes, il assemble en moins de rien 20000. hommes, en ne prenant qu’un homme d’entre 10. familles.

§. 7. Les maisons des Bouchars sont de pierre, & passablement bonnes. Leurs meubles sont en petit nombre, & de peu d’ornement. Ils n’ont ni tables ni chaises. L’on ne voit dans leurs chambres que quelques Coffres Chinois, ornez de fer, sur lesquels ils ajustent pendant le jour, les matelas dont ils se servent la nuit, & les couvrent d’un tapis de cotton bigarré. Ils y ont encore un rideau brodé à fleurs & à figures de différentes couleurs, & une espece de bois de lit, haut d’une demi-aune, & large de quatre ou environ , qui leur sert de couche, & qu’ils cachent le jour sous un tapis.

§. 8. Ils couchent nuds comme la main durant la nuit , mais dès qu’ils sont levez on les voit toûjours habillez & assis à la Turque, ayant les jambes croisées sous eux.

§. 9. Ils se piquent de quelque propreté dans leur nouriture. Les Esclaves qu’ils prennent, ou achetent chez les Calmuques, Russiens, & autres peuples voisins, sont la cuisine dans la chambre du maître. Pour cet effet ils y ont, selon la grandeur de la famille, plusieurs marmites de fer, murées dans une espece de foyer, près d’une cheminée, qui sert en même tems à chauffer la chambre durant l’hiver. Il y en a qui ont aussi de petits fours, qui se font, comme le reste de leurs murailles , de terre grasse ou de briques cruës.

§ 10. Leur vaisselle consiste en quelques plats & écuelles de Capua, (qui est une sorte de bois) ou de Porcelaine, & quelques vases de cuivre, pour faire bouillir le Thé, & pour chauffer l’eau dont ils ont besoin pour se laver. Une piece de toile bigarrée de Cotton leur tient lieu de nappe & de serviettes. lis ne se servent ni de couteaux, ni de fourchettes. Les viandes leur étant servies découpées, ils les prennent & achevent de les dechirer avec les doigts. Leurs cuillères sont de bois & de la façon de celles dont nous nous servons dans nos cuisines pour écumer nos pots.

§ 11. Les mets dont ils se nourissent ordinairement sont des hachis , dont ils remplissent souvent des especes de Pâtez de la Figure d’un croissant. Lorsqu’ils font de longs voyages, surtout en hyver, ils se munissent d’une provision de ces pâtez, qu’ils portent avec eux dans un fac, après les avoir exposez à la gelée, & ils en font d’assez bonnes soupes en les faisant recuire dans de l’eau bouillante.

§. 12. Leur boisson quotidienne est le Thé. Ils en ont d’une espece noire, qu’ils apprêtent avec du lait, du sel, & du beurre, & le mangent avec du pain, lorsqu’ils en ont, ou le boivent, selon leur appetit.

§. 13. Leur habillement, quant aux hommes, ne differe que fort peu de celui des Tartares. Ils portent des habits longs jusqu’au gras des jambes , ayant des manches larges vers l’épaule, & étroites vers le poignet, & ils se ceignent d’écharpes, comme les Polonois.

Les habits des femmes ressemblent en tout à ceux des hommes, & sont ordinairement piquez de Cotton. Elles portent des pendans d’oreilles de la longueur d’un quart d’aune, & qui descendent souvent jusques sur les épaules. Elles partagent leurs cheveux en plusieurs tresses, qu’elles entrelacent & allongent de Rubans noirs brodez d’or ou d’argent, & de grandes touffes de soye & d’argent, qui leur pendent jusqu’aux talons. Trois autres touffes moins grandes leur couvrent la gorge. Elles ont des colliers ornez de perles, de petites monnoyes, & de plusieurs babioles argentées ou dorées, & luisantes. Tous généralement, hommes & femmes, de quelqu’âge qu’ils soyent, portent sur eux, dans un étui de cuir fort mince, & en guise de reliques, des prieres écrites à la main que leurs Prêtres leur distribuent, & dont ils ne font pas moins de cas que les Russiens de la Croix & des Saints.

Quelques femmes, & surtout les filles, ont les ongles peints de rouge. La couleur qu’elles y employent & qui y dure longtems, se tire d’une herbe, appellée dans la langue Bouchare, Kena. Elles la séchent, la reduisent en poudre, la mêlent d’alun broyé, & l’exposent durant vingt-quatre heures à l’air avant que de s’en servir.

Tant les hommes que les femmes portent des culottes & des bottes de cuir de Russie fort légeres & sans talons, ou des bas de cuir. Mais lorsqu’ils sortent de la maison, les uns & les autres se servent de galoches, ou de mules à hauts talons, comme les Turcs, & les quittent en rentrant chez eux.