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À SA MARRAINE

nez en pouvant parler comme vous faites ! Je sens vraiment en vous une âme-sœur. Ô le joli roman ! Mais que votre âme doit être curieuse, j’ai essayé de deviner vos sentiments, j’avoue qu’ils m’ont échappé. Merci donc et vous n’imaginez point le plaisir délicat et charmant que m’a procuré votre livre… J’y repense, vous êtes surtout Mademoiselle de l’Espine, mais je vous souhaite plus de bonheur qu’il ne vous a plu de lui en concéder, Jeanne, cruelle Jeanne… Pardonnez-moi ma lettre décousue écrite par terre, par le froid car nous sommes sous nos petites toiles de tentes. Nous changeons de positions. C’est la vie des camps et pardonnez-moi si la vie des camps m’a peut-être rendu grossier sans que je m’en doute, j’exprime parfois trop librement ce que je ressens.

Je vous ai promis des vers, mais le moyen d’en faire en ce moment ? Votre livre m’a été une délectable distraction, mais quant à écrire, faire des vers, il n’y faut pas penser en ce moment. Les commodités de toutes sortes on les a bannies et juste dans mes sacoches de cheval quelques feuilles de papier quadrillé que ma boîte à graisse a touchées. Votre lettre a été une idée inspirée du ciel car elle a accéléré notre correspondance. J’espère