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INNOCENCE

loin du Panthéon et devant l’Hôtel des Grands-Hommes où, futur grand homme, naturellement, je logeais.

À cette époque patriarcale stationnait là un omnibus qui, toutes les heures ou deux, s’en allait, par la place Saint-Sulpice et l’interminable rue de Vaugirard, desservir Issy, Vanves…

Plusieurs fois j’avais vu Rosalinde, haute comme une botte, avec des cheveux fous et certain air de gravité qui avançait en moue gamine des lèvres faites pour sourire, s’arrêter, parler aux deux chevaux en train d’attendre, tête basse, l’heure incertaine du départ, les caresser, les cajoler, et leur fourrer entre les dents, à chacun, un morceau de sucre.

— Bonne fille, disaient les conducteurs. Elle doit économiser ce sucre-là sur son déjeuner de trois-de-café, le matin, à la crèmerie.

Tant de douceur d’âme dans ce gentil corps me toucha ; et, prenant à deux mains mon courage après avoir moi-même partagé aux chevaux un morceau de sucre sournoisement