Page:Arène - Friquettes et friquets, 1897.djvu/286

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
272
FRIQUETTES ET FRIQUETS

âme noyée dans la joie de se sentir l’un près de l’autre.

Ils causaient à mi-voix, échangeant des pensées quelconques, parlant pour le plaisir de s’écouter parler. Je crois même, vu la circonstance, qu’ils parlaient un peu politique. Mais tout prend une signification amoureuse sur les lèvres des amoureux. La passion éclate à travers des phrases qui paraissent n’avoir rien de commun avec la passion. Telles ces encres mystérieuses qui, entre deux lignes banales, si on expose la page au soleil, font briller soudain des lettres d’or.

C’est ainsi que ce jour-là, dans une conversation que vous ou moi eussions crue consacrée aux événements du jour et de la veille, « président de la Chambre » signifiait : « Que tu es belle ! » Et « Union des gauches » : « Je t’aime et n’aimerai jamais que toi ! »

Ils allaient ainsi, par leur chemin habituel, tournant le dos à la place de la Concorde, toujours hurlante, mais dont le brouhaha de plus en plus lointain, les clameurs de plus en plus indistinctes, ressemblaient maintenant au bruit de la mer.