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le peintre et la pie.

Car mon ami Senez est peintre de nature morte et ne veut être que cela. La nature morte suffit à son ambition, à sa joie. Dans l’immense domaine de l’art, il s’est réservé ce petit coin intime et fleuri comme son jardin. Aussi de quel cœur il le cultive ! C’est plaisir de le voir, à son chevalet, s’escrimer du pinceau, quelquefois du pouce, écraser ses couleurs, les poser gaiement par touches fraîches, et, tout en causant, tout en fumant, jeter sur la toile ces simples compositions chères aux âmes naïves : un pot de grès, des huîtres ouvertes, l’air cossu et satisfait d’une blague pleine près d’une pipe, l’affaissement désespéré d’une bourse vide à côté d’un billet protesté, l’éclat dur des cuivres contrastant avec le luisant profond des faïences, et le carmin velouté d’un panier de pêches avec le vert tendre des queues d’un bouquet qui trempe dans une eau transparente. Senez, on le voit, peint aussi des fruits et des fleurs ; mais des fruits cueillis et des fleurs coupées. Il s’arrête là ! Peintre de nature morte, Senez a pour unique idéal d’exprimer par le dessin et les couleurs l’âme mystérieuse des choses. C’est une joie de créateur qu’il éprouve à faire parler ces muets, à traduire pour tous leur langage. L’objet peint par lui s’anime et s’égaie : — « Ce pot ébréché ne vous disait rien ? Regardez, il vit maintenant ; le pot est content d’avoir été compris, et voilà le secret de la nature morte. »

Demeuré candide et doux malgré sa barbe qui grisonne, mon