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le peintre et la pie

dans ce plat hispano-arabe aux reflets métalliques, près de cet alcarazas rouge, jaune et noir acheté en Kabylie, sur ce tapis oriental aux gammes étouffées et chaudes comme une atmosphère de harem. » De quel cœur, six mois auparavant, Senez eût entrepris ce poème, fripé le tapis, disposé le plat, fait reluire sur l’alcarazas les diamants de l’eau suintante, rendu le grenu baroque des cédrats, la glace tremblante et rose des pastèques, surpris sous leur écrin de cuir gaufré les grenats transparents des grenades, et fait frissonner autour, par on ne sait quelle mystérieuse évocation, toutes les poésies du Midi ensoleillé : murmures d’eaux courantes dans les cours dallées de marbres, chanson de pins et de cyprès et bruissement lointain des cigales.

Enthousiasmé, M. Senez prenait ses pinceaux, tendait une toile, râclait sa palette, exprimait dessus en petits vermicelles joyeusement tortillés les blancs d’argent, les jaunes d’or, les bitumes et les terres de ses tubes ; mais, à peine assis, le découragement le reprenait, et, devant la toile lamentablement vierge, les vermicelles multicolores séchaient sur l’acajou de la palette.

Décidément, la chose était vraie : rien ne disait plus à M. Senez.

À bout d’expédients, les amis dépouillèrent marchés et halles. Des montagnes de poissons étincelèrent sous le jour fin de l’ate-