Page:Arène - La vraie tentation du grand Saint Antoine - contes de Noël, 1880.djvu/121

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
115
le peintre et la pie.

lier. Les langoustes et les homards y promenèrent leurs pinces énormes, leurs antennes étranges et leurs armatures compliquées. Les gruyères y pleurèrent sous l’acier, les bries y coulèrent sur leur natte de paille. Les lièvres étalèrent leur pelage couleur de coteau, les poulardes leurs cuisses marbrées et leurs appétissants croupions en trèfle.

Hélas ! après de vaines heures d’attente, les modèles à la fin se gâtaient, et il fallait en faire à la brasserie des repas tristes comme des repas funèbres.

Cependant, en proie aux plus sombres pensées, dans cet atelier si gai jadis, maintenant à l’abandon, M. Senez se promenait ; et la pie, espérant attirer un regard, provoquer un sourire, allait devant, allait derrière, et piquait du bec ses pantoufles.

Pauvre innocent oiseau ! il était loin de deviner que c’était lui la seule cause des mélancolies de son maître. Qu’importent au digne artiste les merveilles de la nature et les triomphes de l’industrie ? Que lui font les fruits et les fleurs, les étoffes et les céramiques ? Ce qu’il veut peindre, c’est sa pie : il n’aime qu’elle, il ne voit qu’elle !

Le fait est que jamais pie plus jolie ne fit danser sur pattes plus fines, dans la poudre d’une grande route et sur le gravier d’une allée, un corps bleu noir plus coquettement plastronné de blanc ni une queue plus longue et plus agréablement étagée.

Pourquoi alors ce cher M. Senez ne se débarrassait-il pas de