Page:Arène - Les Ogresses - Tremblement de terre à Lesbos - Ennemie héréditaire.djvu/65

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tables, pendant que chevaux et voitures allaient se ranger le long d’un mur au fond du jardin, que les garçons à veste courte faisaient leur perpétuel va-et-vient, et que, par-dessus les haies de lilas taillés, cuisiniers et marmitons respirant le bon air avant de redescendre aux cuisines, jetaient des regards curieux sur ces joies à eux interdites.

Puis la musique commença, étrange, sauvagement rythmée, avec des alternances de joie folle et de vague mélancolie.

Mais je n’écoutais pas la musique. Machinalement intéressé, j’observais Manon et sa tante, cherchant d’après leur physionomie où pouvaient s’en aller leurs pensées.

Très sérieuse, comme imprégnée de vertu, Manon songeait… sans doute au paisible village qu’annonce une allée de peupliers, au vieux pont sous lequel court la rivière, au petit jardin, à la maison blanche, à toute une poésie provinciale dont la bonne tante, avec les couleurs de ses joues et les pompons de son chapeau, était le vivant et le voyant symbole.

La tante souriait, conquise à Paris.

Les idées légèrement troublées par le vin fin et la promenade, elle se sentait fière au milieu de tout ce beau monde inconnu dont Manon, sa nièce Manon, faisait partie, et quelqu’un l’eût bien étonnée en lui parlant de ce qu’au village on appelle vertu. Ses préjugés s’étaient envolés,