Page:Arétin - La Puttana errante, 1776.djvu/11

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Je ne puis comprendre comment dans si peu de temps elle a pu devenir si grande dame.

MAGDELON.

Tu ne sais donc pas le bon de son histoire ; il faut que je te l’apprenne ! Un courtaud de boutique se rendit amoureux d’elle ; il étoit jaloux, et pour s’assurer de sa fidélité, il aima mieux abandonner toutes ses affaires et ne la point quitter d’un pas. Enfin ils sortirent de Venise, et après avoir couru çà et là, ils vinrent à Rome. Si tu l’avois vue alors, jamais créature n’a été plus misérable qu’elle l’étoit. Son galant avoit mangé tout son bien, et, il ne sut pas être bon voleur, on l’envoya aux galères. La pauvre fille était bien en peine : cependant elle fut bien inspirée, elle se fit connoître à dame Angélique qui demeuroit à Campo de Fiori ; c’était une femme habile, et elle vit bien que notre Vénitienne, avec toute sa misère, ne laissoit pas d’avoir assez beau nez ; et que si une fois elle l’avoit instruite, il y auroit quelque chose à gagner. En effet, il vint dans peu bonne compagnie chez dame Angélique. Ce n’étoient pourtant, au commencement, guère que des moines et des prêtres ; mais ceux-là ne sont pas ceux qui payent le plus mal. Ensuite elle se rendit plus considérable par les beaux habits qu’elle mit ; des évêques et des cardinaux en voulurent, et dès lors il n’y en eut que pour elle ; pense un peu si c’étoit le moyen de s’enrichir bientôt.