Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 1.djvu/592

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rigoureux devoir. Tout autre, en des temps aussi difficiles, eût cru peut-être nécessaire de ménager la susceptibilité de l’armée ; lui, ne trouve dans son âme que des paroles brûlantes pour flétrir un acte d’égarement odieux : « Je ne vous rappellerai point, s’écrie-t-il, les circonstances de cette atrocité. La postérité, en lisant notre histoire, y croira voir le crime d’une horde de cannibales, plutôt que celui d’un peuple libre. »

En 1792, des gardes nationaux, sous le nom de fédérés, se réunissaient en grand nombre à Soissons, et y formaient déjà le noyau d’une armée de réserve. Tout à coup le bruit se répand à Paris que le pain de ces volontaires a été empoisonné, que des monstres ont mêlé du verre pilé à tous les approvisionnements de farines, que deux cents soldats sont déjà morts, que les hôpitaux regorgent de malades. L’exaspération de la population parisienne est à son comble ; le rassemblement de Soissons s’est formé contre la volonté royale ; c’est donc au Roi, à la Reine, à tous leurs adhérents, que le crime doit être imputé. On n’attend plus pour agir que le rapport du commissaire envoyé au camp. Ce commissaire était Carnot. Son examen véridique réduisit à néant toute cette fantasmagorie : il n’y avait point de morts ; il n’y avait point de malades ; les farines n’étaient pas empoisonnées ; des vitraux, détachés par le vent ou par la balle de quelque écolier des fenêtres d’une vieille église, étaient tombés par hasard, non en poudre, mais en gros morceaux, sur un sac, sur un seul sac de farine. Le témoignage loyal de l’honnête homme calma la tempête populaire.