Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 2.djvu/138

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misses. Elle conduisit le jeune Condorcet à renoncer entièrement à la chasse, pour laquelle il avait une vive passion, et même à ne pas tuer des insectes, à moins cependant qu’ils ne lui fissent beaucoup de mal.

Il est bien peu de matières sur lesquelles, même dans sa première jeunesse, Condorcet se soit abandonné à des opinions vagues et non étudiées. Aussi règne-t-il une grande harmonie entre les diverses périodes de la carrière laborieuse et agitée que nous devons parcourir. Vous venez de le voir, au sortir de l’enfance, notre confrère plaçait la douceur envers les animaux au nombre des moyens les plus efficaces de conserver sa sensibilité naturelle, suivant lui principale source de toute vertu. Cette idée l’a toujours dominé. Encore l’avant-veille de sa mort, dans l’admirable opuscule intitulé Avis d’un proscrit à sa fille, Condorcet écrivait ces recommandations touchantes :

« Ma chère fille, conserve dans toute sa pureté, dans toute sa force, le sentiment qui nous fait partager la douleur de tout être sensible. Qu’il ne se borne pas aux souffrances des hommes ; que ton humanité s’étende même sur les animaux. Ne rends point malheureux ceux qui t’appartiendront ; ne dédaigne pas de t’occuper de leur bien-être ; ne sois pas insensible à leur naïve et sincère reconnaissance ; ne cause à aucun des douleurs inutiles… Le défaut de prévoyance dans les animaux est la seule excuse de cette loi barbare qui les condamne à se servir mutuellement de nourriture. »

Je devais saisir la première occasion qui s’offrait à moi, de vous montrer Condorcet obéissant résolument à