Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 2.djvu/543

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battre des chaloupes canonnières turques descendues du Caire et armées de pièces de gros calibre, des Mameluks, des fellahs et des Arabes qui garnissaient les deux rives du fleuve. L’engagement avait commencé à neuf heures du matin, le 14 juillet ; à midi et demi, tout semblait annoncer que le dénouement serait fatal, lorsque, averti par les détonations incessantes de l’artillerie, le général en chef se porta rapidement vers le Nil. À la vue de l’armée française, les ennemis s’éloignèrent précipitamment ; les chaloupes turques levèrent l’ancre et remontèrent vers le Caire.

Le bulletin officiel du combat nautique de Chebreys fit mention de la bravoure de Monge et de Berthollet. Dans cette périlleuse rencontre, nos deux confrères, en effet, rendirent l’un et l’autre des services signalés. Ajoutons que jamais la différence, ou, si l’on veut, le contraste de leurs caractères n’avait été plus manifeste. Cinq djermes venaient d’être coulées bas ; les Turcs, après s’être emparés à l’abordage de deux de nos bâtiments, élevaient dans les airs, avec une joie féroce et bruyante, les têtes des soldats et des matelots massacrés ; on vit alors Berthollet ramasser des cailloux et en remplir ses poches. « Comment peut-on penser à la minéralogie dans un pareil moment ! disaient les compagnons du célèbre chimiste. — Vous vous trompez, repartit Berthollet avec le plus grand sang-froid ; il n’est question pour moi ni de minéralogie ni de géologie : ne voyez-vous pas que nous sommes perdus ? Je me suis lesté pour couler à fond très-vite ; j’ai maintenant la certitude que mon corps ne sera pas mutilé par ces barbares. »