Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 2.djvu/561

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et d’Égypte. L’intelligence d’élite dont la nature l’avait doué lui fit rapidement comprendre que les ressources de l’art seraient impuissantes si l’on n’arrivait pas à calmer l’imagination de l’illustre malade. Un bulletin journalier, rédigé dans cette vue, tint Monge au courant de la marche des opérations de l’armée ; souvent même on lui communiquait les lettres de service écrites sous la dictée du général en chef. Mais notre confrère, on l’avait oublié, n’était pas seulement un géomètre théoricien ; il avait passé douze années dans une école du génie ; il connaissait à merveille les bases des calculs techniques qui servaient à déterminer le nombre de jours de tranchée ouverte après lequel, disait-on, une forteresse devait inévitablement se rendre, après lequel la garnison pouvait capituler sans déshonneur ; il savait surtout que ces calculs n’étaient point applicables à des places maritimes, en libre communication avec la mer, pouvant sans cesse renouveler leurs provisions, leurs munitions, leurs défenseurs ; évacuer leurs blessés, leurs malades. Monge ne prenait donc pas à la lettre les prédictions contenues dans les ordres du jour. Cependant notre confrère conservait quelque espérance : Bonaparte n’avait-il pas vaincu souvent, très-souvent, malgré les prévisions contraires des officiers les plus expérimentés ?

Une dépêche dont on donna lecture au malade dissipa ses dernières illusions ; elle était datée du 25 germinal an vii (li avril 1790). Le général en chef disait au gouverneur d’Alexandrie : « Depuis quinze jours nous ne tirons pas. L’ennemi, au contraire, tire comme un enragé. Nous nous contentons de ramasser humblement