Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 2.djvu/569

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Un voyage de quelques jours à l’embouchure du Nil et aux lacs Natron n’aurait pas dû décider Monge à faire présent de tous ses livres, de tous ses manuscrits à la bibliothèque de l’Institut. Cet incident frappa d’étonnement tous les habitants du palais de Hassan-Kachef. Le même jour, notre confrère donna ses provisions de bouche à Conté. Quand ce second fait fut connu, quelques membres de la commission scientifique, en proie à une inquiétude légitime, se décidèrent à surveiller toutes les démarches de leur chef ; ils le surprirent se parlant à lui-même, et disant avec douleur : « Pauvre France ! » L’exclamation n’apportait aucune nouvelle lumière quant au projet de départ ; malheureusement elle autorisait les suppositions les plus sinistres sur l’état de notre pays. Monge eut, dès ce moment, à subir une foule d’interpellations directes. Il n’y répondait que par des paroles sans suite. La douleur qu’il éprouvait à se séparer si brusquement de ses confrères, de ses amis, de ses disciples, était empreinte dans les traits de sa figure, dans toute sa personne ; elle lui arracha même cette expression de blâme : « Le général va trop vite dans ses expéditions. » Enfin, après deux jours d’angoisses, le 30 thermidor, à dix heures du soir, la voiture du général en chef, escortée de guides, s’arrêta devant le palais de l’Institut. Monge et Berthollet y étaient à peine montés, que Fourier, que Costaz, se jetèrent à la portière et supplièrent leurs deux confrères de calmer les vives alarmes de toute la commission scientifique : « Mes chers amis, répondit Monge, si nous partons pour la France, nous n’en savions rien aujourd’hui avant midi. »