Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 2.djvu/571

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instants avec sa muse, trouva jamais l’occasion de divulguer ce secret à d’humbles mortels ; je sais seulement qu’il arriva à Alexandrie à l’instant où les deux frégates la Muiron et la Carrère, déjà loin du port, allaient mettre à la voile, et que le général, s’obstinant à considérer le voyage de Parseval comme un acte d’indiscipline (il prononça même le mot de désertion), refusait de permettre l’embarquement du fugitif. Monge s’épuisait en sollicitations : « Rappelez-vous, disait notre confrère au général Bonaparte, que Parseval a souvent embelli nos séances de l’Institut du Caire en nous lisant des fragments de sa traduction de la Jérusalem délivrée, auxquels vous applaudissiez vous-même. Veuillez songer qu’il travaille à un poëme sur Philippe-Auguste ; qu’il a déjà fait douze mille vers. — Oui, repartit le général, mais il faudrait douze mille hommes pour les lire ! » Un immense éclat de rire succéda à cette saillie. La gaieté rend bienveillant ; Monge ne l’ignorait pas ; il profita de la circonstance, et Parseval fut embarqué.

Vous pardonnerez à l’épigramme, malgré tout ce qu’elle avait d’injuste, puisqu’elle sauva du désespoir, et probablement d’une mort prématurée, un des littérateurs les plus estimables dont notre pays puisse se faire honneur ; puisqu’elle donna à l’Académie française l’occasion d’accorder ses suffrages à un homme qui, tout aussi légitimement que Crébillon, aurait pu s’écrier, en prenant pour la première fois séance dans cette enceinte :

Aucun fiel n’a jamais empoisonné ma plume.

Les conversations qui s’engageaient sur le pont de la