Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 2.djvu/99

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musicien Haydn, qui se déclarait lui-même incapable de composer ses admirables chœurs, quand il ne portait pas au doigt la bague de prix que Frédéric II lui avait donnée ; du poëte Mathurin, et du pain à cacheter qu’il se collait sur le front, entre les deux sourcils, tout autant pour exciter son imagination, que comme un signal à ses domestiques de ne l’interrompre par aucune demande.

Les yeux, a-t-on dit, sont le miroir de l’âme ! Je suis convaincu qu’on s’est trompé, en étendant avec trop de généralité cette remarque aux gestes, ou, si l’on veut, aux mouvements nerveux. Les bras du fauteuil de Napoléon n’étaient pas seulement déchiquetés à coups de canif, dans les mouvements de grande colère ou de fortes préoccupations : la joie, la gaieté, ne rendaient pas inactif l’instrument de destruction. Si les questeurs de nos chambres législatives n’avaient placé la discrétion au premier rang des qualités qui les distinguent, ils pourraient nous dire que certains députés ne détruisent pas moins activement l’acajou de leurs pupitres, les jours de luttes ardentes, passionnées, que pendant l’opération monotone, assoupissante d’un appel ou d’un réappel. Ceux qui lisent la ballade de Glover, intitulée l’Ombre de l’amiral Hosier, devinent-ils que le poëte la composa en détruisant à coups de canne, et sans s’en apercevoir, un parterre de tulipes dont lady Temple, son amie, faisait ses délices ?

Il n’est pas jusqu’à des positions de malaise, de souffrance, qui ne deviennent, chez quelques personnes, la condition indispensable du développement de leur supériorité intellectuelle. Témoin cet avocat dont parle Addison, qui ne plaidait jamais sans passer le pouce de sa