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MALUS.

sortais d’une suffocation ; dès le premier jour, je sentis presque le désir de manger, j’étais néanmoins très-faible. Les vents contraires nous tinrent plusieurs jours en pleine mer ; ce retard produisit sur ma santé une amélioration très-marquée ; mes forces renaissaient, la croûte de mon bubon tomba, l’appétit revint.

Le 7 floréal, nous vînmes mouiller devant le bogaz de Damiette ; le 8, nous entrâmes dans le Nil, le bâtiment fut mis en quarantaine. »

Veut-on connaître ce que nos institutions, quand elles sont confiées à des personnes sans entrailles, ajoutent de douleurs à celles des fléaux naturels, transcrivons encore cette portion si poignante du récit de Malus :

« Le 10 germinal, je fus débarqué et conduit au lazaret de Lesbiéh où étaient entassés les pestiférés de Damiette et ceux qui étaient arrivés de Syrie. On mit aussi avec moi plusieurs passagers qui n’avaient aucun symptôme de la maladie, mais qui la gagnèrent par la suite dans le lazaret et périrent jusqu’au dernier. Ces nombreux décès reculaient le moment de mon élargissement. Il était rare qu’on sortît de cette infernale prison quand on avait eu le malheur d’y entrer ; à peine daignait-on secourir les malheureux qui venaient y passer leurs dernières heures. J’en voyais souvent mourir de rage en demandant de l’eau à des barbares qui feignaient de ne pas les entendre ou qui répondaient : Ce n’est pas la peine. Des fossoyeurs avides dépouillaient les moribonds avant qu’ils eussent rendu le dernier soupir : ces indignes agents de la Commission sanitaire étaient les seuls médecins, les seuls gardes qu’on accordât aux malades ; à peine leurs