Aller au contenu

Page:Arago - Souvenirs d’un aveugle, nouv. éd.1840, t.2.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
79
voyage autour du monde.

— L’usage.

— C’est encore là une réponse que je ne comprends pas.

— Les usages existent, on s’y soumet, voilà tout. Ne sommes-nous pas un peu gênés, dites-moi, dans la plupart de nos vêtements ? et pourtant nous les adoptons.

— Cela ne m’explique pas les larmes des Sandwichiens et l’oubli de toute douleur quelques instants après.

— Cela est pourtant.

— Oui, cela me semble moins touchant que ridicule.

— C’est que vous n’avez rien vu encore.

— J’attendrai donc pour mieux apprécier.

Jack venait de la part du roi féliciter notre commandant sur son heureux voyage, et l’inviter à se rendre à Koïaï s’il voulait se procurer des vivres et de l’eau douce, l’assurant, au reste, que toute protection lui était acquise dans ses États.

Pas un seul des pagayeurs qui portèrent Jack à Kayakakooah n’avait moins de cinq pieds neuf pouces ; deux en avaient six ; Jack avait six pieds quatre pouces français. Dans Kaïrooah, qui comptait à peine trois mille cinq cents habitants, nous avions vu une douzaine d’individus hauts de cinq pieds dix pouces, et plus de cinquante qui n’avaient pas moins de cinq pieds six pouces. Nous devions donc conclure de cet examen, fait avec une minutieuse exactitude, que la population d’Owhyée était d’une taille beaucoup au-dessus de la moyenne, et cependant King, le successeur de Cook, dit que les Sandwichiens, en général, sont d’une taille médiocre. Est-ce que la race se serait améliorée en si peu de temps ? Cela n’est pas probable. D’après moi, King s’est trompé ou a voulu rapetisser au physique les hommes qui avaient massacré son illustre capitaine.

Kayakakooah est la principale ville d’Owhyée et se distingue surtout par la sûreté de sa rade. Quant à cette capitale, nous ne pûmes la juger comme il convenait, car la cour de Riouriou s’en était éloignée, et hormis Kookini, un second gouverneur et deux ou trois autres fonctionnaires élevés en dignité, tous les hauts personnages avaient suivi le roi à Koïaï, où il nous fallut bien cependant aller chercher les vivres qui nous étaient nécessaires et l’eau douce dont nous commencions à manquer. Nous devions aussi, d’après Jack et l’Américain dont j’ai déjà parlé, trouver à Koïaï un Français établi aux Sandwich depuis plusieurs années, et comme ce brave compatriote jouissait dans cet archipel de quelque considération, nous dûmes penser que toutes les difficultés de nos approvisionnements seraient aplanies grâce à ses soins et à son influence. Le canon du bord rappela donc l’équipage ; nous levâmes l’ancre, et, pilotés par le colosse Jack, nous fîmes route pour Koïaï.

Si une navigation le long des côtes est difficile et périlleuse, l’observa-