Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 1.djvu/179

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Lorsque l’autorité souveraine transige ainsi avec ses droits, elle autorise à les méconnaître.

Aussi ce décret du 15 mai et cet exposé de motifs ne furent-ils jamais envoyés officiellement à Saint-Domingue[1]. Le gouvernement royal voulait trop bien le maintien du préjugé de la couleur et de l’esclavage, pour ne pas condescendre à son tour au vœu des colons. Il n’en fut pas de même du décret du 24 septembre 1791, dont nous parlerons bientôt, qui abrogeait celui du 15 mai d’une manière formelle, en retirant la faible concession faite aux droits des hommes de couleur.

Remarquons, en passant, que lorsque les esclaves, ces individus d’une nation étrangère, se furent soulevés ; lorsque les mulâtres, destinés à former la classe intermédiaire, eurent enfin pris les armes contre les colons, que les assemblées nationales de France se sont vues obligées de reconnaître, de proclamer les droits des uns et des autres à la liberté et à l’égalité avec les blancs, et que ceux-ci, trahissant les intérêts politiques et commerciaux de leur patrie, livrèrent la plus riche de ses colonies à une puissance rivale, ce sont ces mêmes individus d’une nation étrangère et leurs descendans qui surent conserver à la France cette belle possession, par leur fidélité et leur courage. Sans doute, il est arrivé un moment où la France les a contraints eux-mêmes de prononcer l’indépendance absolue de Saint-Domingue de sa métropole ; et alors, si le Héros Libérateur prédit par Raynal a déclaré à la face du monde, que les Français sont étrangers aux hommes de la race africaine, qu’ils ne sont pas leurs frères, qu’ils ne pourront jamais le devenir, la postérité

  1. Rapport de Garran, t. 3, page 91, et Rapport sur J. Raymond, page 20.