Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 1.djvu/183

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que l’éblouissement de ce nouveau privilège rendrait trop dangereux pour que vous deviez leur accorder prématurément une loi, peut-être juste en elle-même, mais très-impolitique dans les circonstances actuelles. »


Soyons juste nous-même envers l’abbé Maury. Il était impossible que les colons trouvassent un défenseur plus adroit, plus habile que lui, et l’assemblée constituante un jurisconsulte plus capable de résoudre la question posée devant elle. Aussi cette éloquente péroraison, dont l’effet a dû être prodigieux sur une assemblée française par le débit oratoire de cet homme éminent, obtint-elle tout le succès désiré.

Mais déplorons, en même temps, l’influence du préjugé de la couleur sur un esprit aussi vaste, qui reconnaissait la justice des réclamations portées à ce haut tribunal, et qui ne put cependant se décider à y satisfaire. Cette étonnante sagacité dont il fit preuve en cette occasion, n’aurait-elle pas dû lui faire découvrir que la justice était le seul moyen d’éviter tous les malheurs qu’il prévoyait si bien ? La vraie politique ne peut-elle donc pas s’accorder avec la justice ? Cette science n’est-elle pas, du moins ne doit-elle pas être, en grande partie, la morale appliquée au gouvernement des États ; et y a-t-il une morale sans justice ? La base de la politique ou art social doit être l’honnête et le juste !

Reconnaissons encore que, dans ce plaidoyer en faveur du privilège de la peau, le savant abbé aperçoit, indique d’une manière admirable, mais contrairement à ce qu’il désire, quel sera le résultat de l’injustice persévérante des colons, ce que les temps consacreront par l’injustice de la métropole elle-même : — l’identité des intérêts qui