Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 1.djvu/206

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Ces hommes éclairés qui dirigeaient l’entreprise de leur propre réhabilitation d’abord, n’ignoraient pas le mot prononcé à la tribune nationale par Dupont (de Nemours) : « S’il fallait sacrifier l’intérêt ou la justice, il vaudrait mieux sacrifier les colonies qu’un principe[1] ; » ils n’ignoraient pas non plus les paroles échappées de la bouche de l’abbé Maury, lors de la discussion du décret du 15 mai. Ils avaient vu l’assemblée nationale constituante, dans l’exposé de ses motifs, adopter en partie l’opinion de ce fougueux athlète du privilège, en qualifiant les noirs d’individus d’une nation étrangère ; ils avaient vu cette assemblée, tout en citant dans cet acte supplémentaire le code noir de 1685, restreindre cependant ses dispositions libérales et n’accorder les droits politiques qu’à ceux d’entre eux qui étaient nés de pères et mères libres : ils devaient donc concevoir des craintes pour l’avenir, surtout lorsque le décret du 15 mai ne leur accordait ces droits que pour participer à la formation des assemblées futures, qu’il n’était point envoyé officiellement par le gouvernement de la métropole, et que son représentant à Saint-Domingue avait déclaré publiquement qu’il ne l’exécuterait pas, qu’il en suspendrait l’exécution, alors même qu’il le recevrait de la métropole.

  1. Sur la foi d’une lettre de Daugy, un des Léopardins, Garran a attribué ce mot : « Périssent les colonies, plutôt que de violer un principe ! » à Robespierre ; mais le Moniteur universel rend la chose d’une autre manière. C’est Dupont (de Nemours) qui, le premier, exprima cette idée. Robespierre, membre de la Société des Amis des noirs, dit après lui : « Périssent les colonies, s’il doit vous en coûter votre bonheur, votre gloire, votre liberté ! Je le répète : périssent les colonies, si les colons veulent, par les menaces, nous forcer à décréter ce qui convient le mieux à leurs intérêts ! » (Séance du 14 mai 1791.) Ces débats eurent lieu à l’occasion du décret du 15, relatifs aux hommes de couleur.