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la nécessité où il est de diriger vers Saint-Domingue une partie de la force publique. Les sieurs commissaires ne sont pas moins pénétrés du devoir privilégié de mettre tout en œuvre, avant que d’en venir à des voies, même à des menaces de rigueur. Si cependant ils avaient épuisé en vain les ressources de la raison, du patriotisme, de la persuasion, de l’honneur, leur marche ultérieure est tracée dans l’article 7 de la loi du 4 avril. Sa Majesté leur enjoint de s’y conformer, quoi qu’il doive leur en coûter ; mais, même en s’y conformant, elle ne peut trop leur recommander les ménagemens que l’on doit à des frères, tout en les punissant pour l’intérêt et le salut de la patrie.

Ce serait négliger la plus puissante de toutes les armes que de ne pas mettre dans une évidence palpable les motifs de la loi commise aux soins des sieurs commissaires. En conséquence, ils feront sentir aux hommes de couleur libres, la grandeur du bienfait qui les rétablit dans l’exercice de tous les droits de la liberté et de l’égalité. Ils les rappelleront par la reconnaissance, à la conservation des propriétés, au rétablissement de l’ordre moral et social, au respect qu’ils ne doivent jamais perdre envers ceux qui les ont tirés de l’état de servitude. Ils persuaderont aux habitans blancs l’intérêt réel qu’ils ont à élever les hommes de couleur libres à la même hauteur qu’eux, pour la garantie mutuelle de leurs possessions, de leur sûreté intérieure et extérieure, ainsi que pour la répression des mouvemens séditieux de leurs ateliers. Ils n’oublieront pas de leur représenter que cette classe d’hommes leur est presque toute unie par les liens de la nature et du sang ; pourquoi chercheraient-ils à dégrader leur propre ouvrage[1] ? Il ne sera vraisemblablement pas difficile aux sieurs commissaires de convaincre les uns et les autres par les pertes de toute espèce qu’ils ont éprouvées, qu’il n’est plus pour eux qu’une ressource, et qu’elle n’existe que dans une réunion franche, sincère et inaltérable. L’intérêt le commande, la patrie l’ordonne, la loi, la nation et le roi la veulent impérieusement : déjà les esprits doivent y être disposés par la publication de la loi du 4 avril, dont le gouverneur général a été chargé, avec ordre de s’y conformer et de la faire exécuter, en tout ce qui n’est pas textuellement réservé à l’action directe des sieurs commissaires. Si Sa Majesté eût retardé cette publication jusqu’à l’époque de leur arrivée dans la colonie, il eût été très-dangereux de donner occasion à de nouveaux excès, dans un intervalle de temps où d’un

  1. Les temps étaient bien changés ! la révolution française avait porté ses fruits.