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malgré leurs lumières, subissaient l’influence du préjugé qu’il dénonçait lui-même à la raison, étant intéressé au maintien de la condition servile des opprimés : il n’admettait aucune transaction avec le siècle éclairé qui appelait tous les hommes à une complète régénération.

Moreau de Saint-Méry, enfin, était de la classe des Cocherel[1], des Boursel, des Hilliard d’Auberteuil, des Gouy d’Arcy, des Page, des Brulley, des Dillon, des Pons, etc… etc. Ce dernier disait, dans une brochure qu’il a publiée en 1790 :

« Les efforts de la société des Amis des noirs, dont l’enthousiasme mal entendu trouvait dans les principes de l’assemblée nationale, les moyens de propager sa doctrine, ajoutaient encore aux dangers auxquels nous étions exposés. Les colonies ne peuvent exister sans la traite ; l’expérience a démontré que leur destruction totale serait la suite de l’affranchissement des noirs… »

C’était le règne des principes que redoutaient les colons ! Aussi ont-ils mis tout en œuvre pour faire comprendre à l’assemblée nationale constituante que la

    traits du visage et la couleur de la peau font soupçonner une double trahison : celle des droits de l’homme et de ses frères proprement dits… » Et en note : « Si le sang africain ne coule pas dans les veines de M. Moreau, ce qui est problématique, etc. »

  1. Brissot, adressant une lettre à Barnave, en novembre 1790, y dit :

    « Il est tel député des îles à l’assemblée nationale (MM. Moreau de Saint-Méry et Cocherel, par exemple), qu’il est impossible de distinguer des mulâtres. On m’assure que dans les assemblées coloniales, et dans les places les plus distinguées, il existe de vrais sang-mêlé, mais qui ont su déguiser leur origine. Croirait-on que ces frères des mulâtres sont les plus ardents et les plus hautains de leurs ennemis ?… »

    Cela se conçoit fort bien, parce que, déguisant leur origine, ils se montraient plus acharnés, pour que l’on ne pût pas les soupçonner : calcul infâme, mais logique !