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haine contre Toussaint s’était tellement développée dans « le Sud, que Rigaud y laissa de profonds regrets et une aveugle admiration [1]. »

Nous demandons pardon à notre compatriote, de ce que nos appréciations soient si contraires aux siennes, sur le caractère et la conduite de Rigaud. Si, au lieu d’être vaincu, il avait été vainqueur, son caractère et sa conduite eussent paru mériter autant d’éloges que lorsqu’il guidait ses frères contre les seuls colons, ou les colons aidés des Anglais. Le vaincu a toujours tort. En 1810, il a eu tort envers Pétion ; mais ce fut une situation politique bien différente de celle de l’année 1799.

Nous ne lui avons pas épargné les reproches qu’i l nous a semblé mériter ; mais, le plus grand tort que nous lui reconnaissions dans la guerre civile du Sud, c’est d’avoir manqué de jugement comme homme politique, d’avoir arrêté en lui l’élan du guerrier, de n’avoir pas profité de ses premiers succès pour s’assurer toutes les chances heureuses qui s’offraient à ses armes ; et ce tort, il l’a eu pour n’avoir pas apprécié sainement sa situation à l’égard du Directoire exécutif et de son agent. À l’égard de T. Louverture, il était dans son droit, dans celui de tout le parti qu’il dirigeait, qu’il représentait. Tout faire pour essayer de vaincre son rival, était son devoir. Il usa d’un ménagement intempestif, en espérant une approbation du Directoire, tandis qu’il aurait dû voir que la politique de ce gouvernement, depuis trois ans, tendait à faire asservir son parti. Il n’est pas sûr qu’il aurait vaincu T. Louverture jusque dans le Nord ; mais il aurait dû tenter de conquérir l’Ouest, de s’emparer au moins du Port-au-Prince.

  1. Histoire d’Haïti, t 2, p. 61.