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noirs et les mulâtres, toujours si exécrés des colons qui avaient appelé ces étrangers ? N’étaient-ce pas ces mêmes colons et les émigrés, leurs adhérens, qui dominaient dans le conseil de T. Louverture ? Leur plan dénoncé à la colonie par Roume, à son arrivée en 1796 ; la réaction à laquelle ils poussaient le gouvernement français contre la liberté générale, donnaient-ils des garanties aux anciens ni aux nouveaux libres ? N’était-il pas à craindre, après tout, que dans un avenir plus ou moins éloigné, le gouvernement de la métropole ne cédât aux perfides suggestions de la faction coloniale ? Quand il réagissait déjà contre les anciens libres, pour leur enlever la position qu’ils avaient conquise dans la guerre contre les Anglais, pouvait-on espérer qu’il eût été toujours plus favorable aux noirs, émancipés dans des circonstances impérieuses ? Dans son rapport de 1797, Marec n’avait-il pas dit que — « les commissaires civils avaient promis aux noirs la liberté, avaient osé leur en promettre et même leur en procurer la jouissance provisoire, dont la convention nationale avait ratifié le moyen dans un moment d’enthousiasme ? » Que signifiaient de telles paroles prononcées à la tribune du corps législatif, sinon le regret de cette subite émancipation, une arrière-pensée à l’égard des noirs ?

Or, la classe des anciens libres qui, en majorité, avait accepté franchement la liberté générale, qui formait la portion éclairée de la race noire, devenait nécessairement le principal appui des masses, jadis esclaves, contre la réaction projetée. Elle le devenait avec d’autant plus de raison, que si cette réaction s’opérait, elle en subirait elle-même les conséquences. Son intérêt politique était donc identique à celui des masses, indépendamment de ses affec-