Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 5.djvu/125

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répond avec hauteur : « Vous êtes prisonnier : remettez-moi votre épée ! »

Cette vaillante épée qui avait repris Léogane et Tiburon sur les Anglais !… Indigné de cette insolence, Rigaud lance son épée à la mer, et un regard méprisant à cet officier.

Je reconnais mon sang à ce noble courroux.

Comment qualifier, en effet, cette parole de l’officier de marine, cet acte de Leclerc, empreint de tant de déloyauté ? Chef suprême de la colonie, devait-il descendre à une ruse aussi indigne de l’autorité ? Que n’appelât-il Rigaud pour lui dire avec sévérité : « Vous avez compromis le succès de l’expédition, par votre lettre au général Laplume. Mon devoir est de vous renvoyer en France. »

Lorsque l’autorité supérieure s’abaisse à employer la ruse de la faiblesse, elle se déconsidère aux yeux de tous, elle encourt leur mépris et même leur haine. Tels furent les sentimens qui se propagèrent, comme une étincelle électrique, dans le cœur de tous les hommes de bien, principalement dans celui de tous les mulâtres de Saint-Domingue. De ce jour, la puissance morale de la France s’évanouit à leurs yeux comme par enchantement. Il ne restait plus qu’à la faire évanouir aux yeux des noirs : la déportation de T. Louverture, non moins déloyale, vint bientôt après achever l’œuvre injuste commencée sur son ancien rival.

Arrivé dans la rade du Cap, Rigaud apprit là seulement le motif de sa déportation, par une lettre que lui écrivit le général Boyer. Il fut transbordé sur la flûte le Rhinocéros. On y envoya sa femme et ses enfans. Son fils aîné, Louis Rigaud, et deux aides de camp étaient avec