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d’infortune, qui réclamait au moins la justice du gouvernement français ; et dans ce but, il demandait la faculté de venir à Paris. Mais, le 28 mai, le ministre lui répondit que le Premier Consul avait ordonné qu’il se rendrait à Poitiers avec sa famille et ses domestiques seulement ; qu’il jouirait de son traitement de réforme, et que le chef du gouvernement ne préjugeait rien sur les causes de son retour en France. L’ordre fut donné de le transférer à Poitiers, et on pourvut au sort des officiers. C’était adoucir celui de Rigaud.

À Poitiers, Rigaud était sous la surveillance du colonel Lacuée, de la 63e demi-brigade. Rendant compte au ministre de la marine de la conduite de Rigaud, Lacuée lui dit : « Il parle de Toussaint Louverture avec beaucoup de modération, vantant ses moyens naturels et l’extrême facilité de ses moyens physiques et intellectuels. Il paraît peu dissimulé ; il est néanmoins circonspect.  » Cette lettre est du 29 juin[1].

Telle fut la justice rendue aux qualités de T. Louverture par Rigaud, au moment où son ancien ennemi était prisonnier à bord du Héros, voguant vers les rives de la France, avant de s’être trouvé comme lui prisonnier au fort de Joux, pour lui donner personnellement des témoignages de sympathie dans leur commun malheur.

Nous ne pouvons que louer ici la mémoire de ce mulâtre, qui comprit ce que lui prescrivait le devoir moral envers son frère noir, après leur sanglante querelle allumée par une politique inintelligente.

Rendons justice aussi à la mémoire de Toussaint Lou-

  1. Nous avons puisé tous ces renseignemens, relatifs à Rigaud, dans un carton du ministère de la marine, qu’il nous a été permis de consulter.