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avons sur le sort fait à T. Louverture et à sa famille.

Huit jours après son arrivée à Brest, étant encore en quarantaine, il adressa au Premier Consul la lettre suivante :

À bord du vaisseau le Héros, 1er  thermidor an X (20 juillet).

Le général Toussaint Louverture,

Au général Bonaparte, Premier Consul de la République française.
Citoyen Premier Consul,

Je ne vous dissimulerai pas mes fautes : j’en ai fait quelques-unes. Quel homme en est exempt ? Je suis prêt à les avouer.

Après la parole d’honneur du capitaine-général qui représente le gouvernement français, après une proclamation promulguée à la face de la colonie, dans laquelle il promettait de jeter le voile de l’oubli sur les événemens qui ont eu lieu à Saint-Domingue, comme vous avez fait le 18 brumaire, je me suis retiré au sein de ma famille. À peine un mois s’est écoulé, que des malveillans, à force d’intrigues, ont su me perdre dans l’esprit du général en chef, en lui inspirant de la méfiance contre moi. J’ai reçu une lettre de lui qui m’ordonnait de me concerter avec le général Brunet : j’ai obéi. Je me rendis, accompagné de deux personnes, aux Gonaïves, où l’on m’arrêta. L’on me conduisit à bord de la frégate la Créole, j’ignore pour quel motif, sans d’autres vêtemens que ceux que j’avais sur moi. Le lendemain ma maison fut en proie au pillage ; mon épouse et mes enfans sont arrêtés : ils n’ont rien, pas même de quoi se vêtir.

Citoyen Premier Consul, une mère de famille, à 53 ans, peut mériter l’indulgence et la bienveillance d’une nation généreuse et libérale ; elle n’a aucun compte à rendre ; moi seul dois être responsable de ma conduite auprès de mon gouvernement. J’ai une trop haute idée de la grandeur et de la justice du premier magistrat du peuple français, pour douter un moment de son impartialité. J’aime à croire que la balance, dans sa main, ne penchera pas plus d’un côté que de l’autre. Je réclame sa générosité.

Salut et respect,
Toussaint Louverture.

Il écrivit en même temps celle qui suit, au ministre de la marine :