Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 5.djvu/222

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Quand nous considérons les services réels que rendit T. Louverture aux colons et à la France, nous ne craignons pas de dire, en réfléchissant au sort qui lui a été fait, que, d’accusé, le prisonnier d’État du fort de Joux est devenu accusateur devant l’inévitable et sévère postérité : elle ne peut que condamner l’injustice commise envers lui.

Il s’est donc honoré aux yeux de la postérité, en protestant comme il a fait contre l’indigne traitement qu’il a subi ; il s’est honoré par les sentimens qu’il a exprimés, dans sa douleur de père de famille, en faveur de sa femme, de ses enfans, de son vieux père, tous séparés de lui pour toujours ! Il n’a pas moins montré une sollicitude honorable en faveur de ses officiers injustement arrêtés et déportés. Les hommes de sa race ne peuvent qu’applaudir à une telle conduite, à de tels sentimens.

Le 17 septembre, T. Louverture avait remis au général Cafarelli, avec son mémoire, une lettre qui l’accompagnait, adressée également au Premier Consul ; le 29, il lui en adressa encore une autre, et ce fut la dernière. Les voici :

Au cachot du fort de Joux, ce 30 fructidor an X (17 septembre).
Général et Premier Consul,

Le respect et la soumission que je voudrais être toujours gravés dans le fond de mon cœur… Si j’ai péché en faisant mon devoir, c’est sans le vouloir ; si j’ai manqué en faisant la constitution, c’est par le grand désir de faire le bien, c’est d’avoir mis trop de zèle, d’amour-propre, croyant de plaire à mon gouvernement ; si les formalités que je devais prendre n’ont pas été faites, c’est par mégarde. J’ai eu le malheur d’essuyer votre courroux ; mais quant à la fidélité et à la probité, je suis fort de ma conscience, et j’ose dire avec vérité, dans tous les hommes d’État, personne n’est plus probe que moi. Je suis un de vos soldats et premier serviteur de la République à Saint-Domingue. Je suis aujour-