Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 5.djvu/234

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réels de la race noire pour ne pas susciter d’invincibles répugnances à ses frères : son propre neveu Moïse fut celui qui osa en manifester le plus ; il périt. D’un autre côté, cette organisation, et non pas l’abus de son autorité, était trop contraire à la souveraineté de la France sur sa colonie, pour ne pas attirer sur sa tête la foudre que lui lança le gouvernement consulaire, dans les circonstances les plus favorables. Sans appui du côté de la race noire qu’il avait violentée, il devait succomber dans cette lutte.

Nous avons déjà reconnu tous les vices et toutes les qualités qui distinguaient Toussaint Louverture. Ses vices ont été : la dissimulation, l’hypocrisie, l’astuce, la fourberie, le machiavélisme, la vanité, l’orgueil, la méfiance, l’égoïsme. Ses qualités furent : l’audace, l’énergie, la résolution, la fermeté, la prudence, l’intégrité dans le maniement des deniers publics, une grande intelligence des choses, l’amour de l’ordre, une activité prodigieuse, une ambition insatiable qui fut à la hauteur de son génie. Avec une telle nature, favorisé comme il l’a été par la politique réactionnaire du gouvernement français, il était impossible que dans les circonstances où il se trouva, il ne réussît pas dans toutes ses vues personnelles. Mais, malheureusement pour sa gloire, il joignit à tous ses vices, à toutes ses qualités, un cœur de bronze pour quiconque contrariait ses desseins. En se montrant inexorable, il fit ressortir surtout les vices de son caractère ; car les hommes ne les pardonnent point dans ceux qui les gouvernent et qui se prévalent de leur autorité pour assouvir leurs passions, tandis qu’ils ont droit de compter sur les qualités, sur les vertus de quiconque devient chef. Aussi, l’opinion qui fait la force réelle des gouvernemens, manqua-t-elle à Toussaint Louverture dans le moment où il en avait le