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se communiquèrent réciproquement leurs pensées. Pétion, encore adjudant-général comme au moment qu’il abandonna l’armée de T. Louverture pour passer auprès de Rigaud, reconnaissant en Dessalines un officier supérieur sur qui désormais l’armée coloniale devait fixer les yeux, sentait d’ailleurs le besoin de justifier sa conduite politique dans la guerre civile du Sud, pour pouvoir opérer son rapprochement de Dessalines. À cet effet, il fit les premières avances. Comme homme plus éclairé, décidé à agir avec tout le désintéressement que nécessitait le salut de la race noire, il devait les faire pour amener la conviction dans l’esprit de l’ancien ennemi qu’il avait combattu lors de sa défection, et qu’il venait tout récemment encore de combattre à la Crête-à-Pierrot.

Pétion entama la conversation sans hésiter sur les circonstances et les motifs qui l’avaient forcé à abandonner l’armée de T. Louverture, rejetant sur celui-ci, comme de raison, les malheurs de cette époque déplorable, par son engouement pour les colons et les émigrés qui l’avaient ensuite payé d’une si horrible ingratitude. Le raisonnement de Pétion fut d’autant plus goûté par Dessalines, qu’il lui dit encore : « Mais, le général Toussaint pouvait-il, devait-il plus compter sur la sincérité des blancs, lui, leur ancien esclave, quand moi, je ne pus obtenir l’amitié de mon père, parce qu’il trouvait que ma couleur portait trop le signe de la couleur noire ? » À ces paroles facilement comprises, Dessalines saisit sa main avec effusion, et lui dit : Tu as raison, mon fils [1]

  1. Pétion, quoique quarteron, étant fils d’un blanc et d’une mulâtresse, avait la couleur d’un brun foncé ; mais les plus beaux cheveux noirs tombant en boucles indiquaient bien sa filiation européenne. Son père, Sabès, ne l’aimait pas et lui préférait sa sœur, qui avait une peau très-blanche : ce qui le