Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 5.djvu/369

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tation Darbonne où Lamour Dérance tenait son quartier général. Ce chef lui fit bon accueil ainsi qu’à ses officiers et à leurs troupes : c’étaient encore d’anciens partisans de Rigaud en faveur duquel il avait constamment résisté à T. Louverture[1]. Pétion s’attacha à se faire bien venir dans l’esprit de Lamour Dérance, pour ne pas être contrarié dans son projet de faire passer Geffrard dans le Sud. On a prétendu qu’il essaya de le porter à reconnaître l’autorité de Dessalines ; mais nous doutons qu’un homme expérimenté comme l’était Pétion, eût compromis son œuvre par une telle démarche. Il n’ignorait pas que sous T. Louverture, Dessalines étant commandant en chef du département de l’Ouest, il avait eu plus d’une fois l’occasion de faire traquer Lamour Dérance dans les montagnes du Port-au-Prince ou dans celles de Jacmel[2] : lui proposer, dans la plaine de Léogane, alors qu’il était tout-puissant, de reconnaître un supérieur en son ancien ennemi, c’eût été, de la part de Pétion, plus qu’une imprudence ; car il aurait pu périr. Il est probable qu’il lui aura parlé, comme à Sans-Souci, de la nécessité de ne pas se heurter les uns et les autres dans une guerre entreprise pour résister aux Français. Pétion avait mieux à faire, et c’est ce qu’il fit : il prépara Cangé, Marion, Mimi Baude, etc., ses anciens compagnons d’armes du Sud, à ne reconnaître

  1. Ces faits et la promotion de Marion et de Mimi Baude nous portent à croire qu’il y a eu erreur ou passion de la part de Boisrond Tonnerre, quand il dit de Cangé : « Il parvint par une feinte condescendance aux ordres de Lamour Dérance, à préserver les hommes de couleur comme lui et les noirs créoles, de l’extermination des Africains. » Lamour, ainsi que les autres chefs africains, ne prétendait céder sa priorité, dans la prise d’armes contre les Français, ni aux mulâtres ni aux noirs créoles ; mais nous ne pensons pas qu’il voulait les exterminer, à moins qu’ils ne voulussent méconnaître son autorité ; ce qu’a fait Dessalines lui-même envers ceux qui lui résistèrent : c’est-à-dire le Africains, car les autres lui obéirent.
  2. Voyez tome 4, p. 336 et 337 de cet ouvrage.