Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 5.djvu/394

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à rester vers les anciennes limites des deux colonies, dans la pensée non justifiée de préserver la partie de l’Est, des incursions des indigènes qui n’y songeaient pas.

Un autre fait bien plus important se passa le même jour dans un autre quartier de l’Ouest. Au Petit-Goave, où commandait Delpech, homme de couleur, se trouvait aussi Lamarre, ancien capitaine des dragons de l’escorte de Rigaud : jusque-là, Lamarre prêtait son concours à Delpech et aux Français qu’il servait avec zèle. Mais, à la fin, il se fatigua d’être l’instrument d’une domination fondée sur l’injustice et le crime : l’exemple de ses anciens compagnons d’armes exerça son influence sur cet esprit résolu et courageux. D’autres jeunes hommes comme lui étaient aussi au Petit-Goave, et il avait toute leur confiance : c’étaient les deux frères Eveillard, Robert Desmarattes, Romain, Frémont, les trois frères Brouard, dont le père, honorable vieillard plus que sexagénaire, n’était pas moins énergique. Lamarre leur communiqua son projet auquel ils adhérèrent. Après avoir averti Cangé, déjà de retour dans la plaine de Léogane, pour qu’il pût le secourir, il attendait l’effet de cet avis, quand les conjurés furent tous dénoncés à Delpech. Celui-ci résolut leur arrestation, au moyen des troupes françaises qui étaient dans la place : la frégate la Franchise, commandée par le capitaine Jurien, était mouillée dans la rade. Prévenu du dessein de Delpech, qui ordonna une revue à cet effet, Lamarre harangua les noirs et les mulâtres organisés en compagnies franches, avec cet accent qui électrise toujours les braves, quand c’est un brave lui-même qui s’adresse à eux. Ils étaient en ce moment au fort qu’ils occupaient habituellement ; Delpech et les troupes françaises se trouvaient sur la place d’armes qui